Crime économique organisé : facteur de déstabilisation des Etats


Par Abderrahmane Mebtoul
Professeur des Universités et expert international

Le fléau du crime organisé dépasse le cadre national. Il est relié aux réseaux internationaux où existent des liens dialectiques entre certains agents externes et internes.

La lutte contre le crime organisé et la corruption, qui concerne tous les pays sans exception, n’est pas une question de lois ou de commissions, ce qui montre clairement que les pratiques au niveau mondial contredisent le juridisme et les discours. Il est illusoire de s’attaquer à ce fléau mondial sans un système d’information fiable en temps réel utilisant les nouvelles technologies, dont l’intelligence artificielle qui a un impact à la fois sur la gestion du segment sécuritaire, des entreprises, des intuitions et de nos comportements. Une importante enquête sur ce phénomène, réalisée par d’éminents experts internationaux (juristes, économistes, politologues et experts militaires) sur plus de 150 pays, parrainée par l’ONU en octobre 2021, s’est basée sur douze indicateurs de résilience : leadership politique et gouvernance, transparence et responsabilité du gouvernement, coopération internationale, politiques et législations nationales, système judiciaire et détention, forces de l’ordre, intégrité territoriale, lutte contre le blanchiment d’argent, capacité de réglementation économique, soutien aux victimes et aux témoins, prévention et acteurs non étatiques et arrive à six conclusions.

1re conclusion : plus des trois quarts de la population mondiale vivent dans des pays où le taux de criminalité est élevé, ou dans des pays où le niveau de résilience face au crime organisé est faible ;

2e conclusion : de tous les continents, c’est l’Asie qui enregistre les niveaux de criminalité les plus élevés ;

3e conclusion : la traite des personnes est le marché criminel le plus répandu au monde ;

4e conclusion : les démocraties présentent des niveaux de résilience face à la criminalité plus élevés;

5e conclusion : les acteurs étatiques constituent les principaux facilitateurs de ces pratiques occultes et obstacles à la résidence face au crime organisé (dont octroi opaque de l’octroi de marchés publics) ;

6e conclusion : de nombreux pays en conflit et États fragiles sont très vulnérables face au crime organisé.

7 niveaux d’activités illicites

Concernant les trafics illicites, je recense sept niveaux (conférence du professeur Abderrahmane Mebtoul sur ce sujet – Alger – à l’Institut militaire de documentation et de prospective 2019 (sur les liens entre sphère informelle et trafics) et à l’invitation de l’État-major de la Gendarmerie nationale sur le crime économique organisé 2021).

Premièrement, nous avons le trafic de marchandises illicites qui regroupe différentes pratiques : contrefaçon ; piraterie ; falsification ; adultération de produits ; la contrebande de produits licites et la fraude fiscale. Ainsi, les denrées alimentaires, boissons et cosmétiques illicites peuvent contenir des ingrédients toxiques et les appareils électriques sont parfois à l’origine d’incendies ou d’explosions. Les médicaments illicites, quant à eux, contiennent la mauvaise quantité de principe actif (trop, trop peu ou inexistant), menaçant la santé de patients par l’ingestion de faux médicaments ou de médicaments licites mal conservés ou périmés, où selon certains experts, le trafic de médicaments rapporte 10 à 20 fois plus que celui d’héroïne.

Deuxièmement, nous avons le trafic d’armes. Le marché « noir » des armes et de leurs munitions, issu nécessairement du marché « blanc » puisque, rappelons-le, chaque arme est fabriquée dans une usine légale, une thématique qui permet de comprendre les volontés de puissance des divers acteurs géopolitiques à travers le monde. Tandis que le trafic de drogues est réprimé internationalement, le trafic d’armes est réglé par les États qui en font leurs bénéfices. La vente d’armes s’effectue régulièrement entre plusieurs partenaires privés et publics.

Troisièmement, nous avons le trafic de drogue. La montée en puissance du trafic de drogue au niveau de la région sahélienne implique toute l’Afrique du Nord où nous pouvons identifier les acteurs avec des implications géostratégiques où les narcotrafiquants créent de nouveaux marchés nationaux et régionaux pour acheminer leurs produits. Afin de sécuriser le transit de leurs marchandises, ces narcotrafiquants recourent à la protection que peuvent apporter, par leur parfaite connaissance du terrain, les groupes terroristes et les différentes dissidences, concourant ainsi à leur financement. Selon le Rapport mondial sur les drogues 2023 de l’ONUDC, le nombre de personnes qui s’injectent des drogues en 2021 est estimé à 13,2 millions, soit 18 % de plus que les estimations précédentes. Au niveau mondial, plus de 296 millions de personnes ont consommé des drogues en 2021, soit une augmentation de 23 % par rapport à la décennie précédente. Le nombre de personnes souffrant de troubles liés à la consommation de drogues est entre-temps monté en flèche pour atteindre 39,5 millions, soit une augmentation de 45 % en dix ans. Le montant des revenus générés par le trafic de stupéfiants à l’échelle de la planète, selon l’Office des Nations Unis contre la drogue et le crime, en 2022 serait au minimum de 250 milliards de dollars

Quatrièmement, nous avons la traite des êtres humains. C’est une activité criminelle internationale dans laquelle des hommes, des femmes et des enfants sont soumis à l’exploitation sexuelle ou à l’exploitation par le travail. Le trafic de migrants est une activité bien organisée dans laquelle des personnes sont déplacées dans le monde en utilisant des réseaux criminels, des groupes et des itinéraires.

Cinquièmement, nous avons le trafic de ressources naturelles qui inclut la contrebande de matières premières, telles que les diamants et les métaux rares (provenant souvent de zones de conflit) et la vente de médicaments frauduleux potentiellement mortels pour les consommateurs.

Sixièmement, nous avons la cybercriminalité. Elle est liée à la révolution dans le domaine des systèmes d’information et peut déstabiliser tout un pays, tant sur le plan militaire, sécuritaire qu’économique. Il englobe plusieurs domaines, exploitant notamment de plus en plus Internet pour dérober des données privées, accéder à des comptes bancaires et obtenir frauduleusement parfois des données stratégiques pour le pays. Le numérique a transformé à peu près tous les aspects de notre vie, notamment la notion de risque et la criminalité, de sorte que l’activité criminelle est plus efficace, moins risquée, plus rentable et plus facile que jamais.

Septièmement, en synthèse, nous avons le blanchiment d’argent. C’est un processus durant lequel l’argent gagné par un crime ou par un acte illégal est lavé. Il s’agit, en fait, de voiler l’origine de l’argent pour s’en servir légalement par la suite. Les multiples paradis fiscaux, des sociétés de clearing (aussi offshore) permettent de cacher l’origine de l’argent.

En conclusion, la lutte contre le crime organisé, les différents types de trafics alimentant le terrorisme, implique, outre une coopération internationale pour unifier le renseignement sans lequel l’action opérationnelle risque d’être inefficiente, une nouvelle gouvernance afin de mettre fin à cette inégalité tant planétaire qu’interne où une minorité s’accapare la plus grande fraction des richesses. Concernant le continent africain frappé par ce fléau, notamment au niveau du Sahel, l’objectif stratégique est de traduire en termes concrets les potentialités de cet espace, pour être en mesure de relever avec succès les défis innombrables qui lui sont lancés, étant à l’aube de la quatrième révolution économique mondiale fondée sur les nouvelles technologies et les défis de la transition numérique et énergétique. La stabilité du Sahel interpelle, à la fois, tout le continent Afrique, mais également toute la communauté internationale.

ademmebtoul@gmail.com

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