Une enquête explosive publiée le 4 mai par L’Express révèle l’existence d’un document compromettant issu des archives du Service de Documentation Extérieure et de Contre-Espionnage (SDECE). Ce rapport secret, annexé à un courrier adressé à Jacques Foccart durant l’été 1958, dévoile une réalité glaçante : l’État français a délibérément orchestré des assassinats ciblés pendant la guerre d’Algérie, touchant non seulement des figures du Front de Libération Nationale (FLN), mais également leurs proches, y compris des femmes et des enfants. Le document, découvert par le média français, recense méticuleusement une série d’opérations meurtrières perpétrées par les services secrets français dans leur lutte contre l’indépendantisme algérien. Parmi les victimes figure le pharmacien Saad Rahal, 32 ans, tué le 19 avril 1957 par un colis piégé à Meknès, au Maroc. Le rapport évoque froidement « la destruction de l’objectif et de sa famille ». En effet, l’explosion a également coûté la vie aux parents de Rahal ainsi qu’à sa fille de 4 ans. Si une enquête sommaire avait à l’époque attribué cet attentat à des règlements de comptes internes au FLN, le document du SDECE révèle que Rahal était en réalité ciblé pour son rôle de fournisseur d’armes à l’Armée de libération nationale (ALN). Ces révélations battent en brèche l’idée de simples bavures militaires : il s’agissait bien d’opérations planifiées, menées en Algérie, en Afrique du Nord et même sur le territoire français. Constantin Melnik, ancien conseiller de Michel Debré, affirme dans son livre « Mille jours à Matignon » que le général de Gaulle, alors président du Conseil, avait fixé trois conditions strictes à ces actions : son approbation préalable, l’interdiction d’agir sur le sol français, et l’exclusion de cibles françaises. Pourtant, ces principes ont été régulièrement bafoués. En juin 1957, le médecin français anticolonialiste Louis Tonellot échappe de peu à une bombe placée à son domicile d’Oujda, qui blesse sa femme et sa fille. Le tableau adressé à Foccart précise laconiquement : « La famille est atteinte ». Plus flagrant encore, le 21 mai 1959, l’avocat algérien Amokrane Ould Aoudia est assassiné en plein Paris. Dans son ouvrage « La Guerre d’Algérie en France, 1954-1962 », Raymond Muelle, ancien membre du service Action, revendique sa participation à cette opération qu’il affirme avoir été conduite « avec l’aval du pouvoir politique ». Muelle mentionne également l’élimination en octobre 1960 de Rachid Khilou, officier de police musulman soupçonné de collaborer secrètement avec le FLN. D’après ses dires, Khilou aurait été tué par une « piqûre empoisonnée » administrée par un agent surnommé « lieutenant Lambert », alors que la presse avait à l’époque imputé ce meurtre au FLN. Une note adressée à Jacques Foccart le 5 mai 1961 révèle que les autorités suisses soupçonnaient déjà les services français d’être derrière cet assassinat. Pour brouiller les pistes, le SDECE avait créé une organisation fictive appelée la « Main rouge », destinée à revendiquer les assassinats commis par ses agents. « Les services secrets inventifs disent : nous pouvons participer à la destruction du FLN, et pour cela, éventuellement, nous pourrions inventer une organisation imaginaire qui s’appellerait la Main rouge », témoigne Melnik. Cette façade a été méticuleusement construite, allant jusqu’à la publication d’un livre via une fausse maison d’édition, relatant une prétendue interview d’un membre de cette organisation fantôme. Cette couverture s’avérait particulièrement utile pour masquer des opérations menées en Allemagne et en Suisse contre des cadres du FLN et des marchands d’armes européens suspectés d’approvisionner les indépendantistes algériens. Le document comptabilise avec précision 38 opérations conduites entre janvier 1956 et mars 1958 : 17 ont abouti, dont 12 qualifiées de « réussites totales », 4 se sont soldées par des échecs, 3 ont connu des « incidents techniques », et 17 ont été annulées, dont 8 sur décision politique. Parmi ces dernières figurent deux projets majeurs stoppés par Guy Mollet : l’assassinat d’Ahmed Ben Bella, futur président algérien, prévu au Caire en juillet 1956, et une tentative contre le président égyptien Nasser, qui aurait pu être éliminé par une bombe télécommandée lors de son arrivée à Port-Saïd en décembre 1956. A.B

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