La question de la restitution des biens culturels africains par les anciens pays colonisateurs prend une nouvelle dimension à la lumière des défis de développement auxquels le continent Africain fait face. Au-delà d’un simple geste diplomatique, cette démarche pourrait être le catalyseur d’une renaissance intellectuelle et culturelle essentielle au progrès durable de l’Afrique.
Les bibliothèques françaises possèdent de nombreux livres, manuscrits, cartes et documents algériens, notamment les 37 manuscrits de l’émir Abdelkader confisqués en 1843, conservés à la bibliothèque du musée Condé à Chantilly. La restitution des archives et des biens culturels algériens pillés est une question cruciale dans les relations franco-algériennes post-coloniales. En 1969, la France a restitué à l’Algérie 293 œuvres d’art du musée du Louvre, suite à un accord de 1968. En 1975, un portrait de l’émir Abdelkader a été remis par le président Giscard d’Estaing à l’Algérie. En 2003, le président Chirac a restitué le sceau de Hussein Dey. En 2006, la ministre Khalida Toumi avait demandé la restitution de diverses pièces archéologiques. En 2012, la restitution du canon Baba Merzoug a été discutée mais n’a toujours pas abouti en raison d’obstacles juridiques. La mobilisation de la commission mixte algero-française sur l’Histoire et la Mémoire a permis de récupérer plus de 2 millions de documents algériens datant d’avant 1830, ainsi que certains biens matériels.
Selon le communiqué rendu public, la partie algérienne a soumis une liste de biens culturels, archivistiques et autres, devant être restitués par la France à l’Algérie.
« La partie algérienne présente une liste ouverte de biens historiques et symboliques de l’Algérie du XIX siècle, conservés dans différentes institutions françaises, proposés à la restitution à l’Algérie sous forme de gestes symboliques », a-t-on indiqué. La partie algérienne « invite la partie française à transmettre ses préoccupations en matière de restitution de biens culturels, archivistiques et autres ».
L’Algérie n’entend « faire aucune concession » sur le dossier mémoriel avec la France
L’Algérie, rappelons-le, a toujours demandé, entre autres, « la restitution des biens appartenant à l’Émir Abdelkader, à Ahmed Bey et à d’autres personnalités algériennes ». Lors de sa précédente rencontre, la commission mixte a cité « l’épée, le burnous, le Coran, la tente et les canons de l’Émir Abdelkader, la tente d’Ahmed Bey ainsi que la clé et les étendards de Laghouat ». Cette insistance est appuyée par le Président Abdelmadjid Tebboune dans son message à l’occasion de la journée de la Mémoire, marquant l’anniversaire des massacres du 8 mai 1945 et pour qui » Le dossier de la mémoire ne saurait faire l’objet de concessions ni de compromis et restera au cœur de nos préoccupations jusqu’à son traitement objectif, audacieux et équitable envers la vérité historique ».
Les discussions en cours entre la France et l’Algérie sur la restitution de ces biens culturels s’inscrivent dans un mouvement plus large de reconnaissance des torts du colonialisme. Cependant, pour l’Afrique, l’enjeu dépasse la simple réparation historique. Comme le souligne le philosophe kenyan Ngugi wa Thiong’o, la décolonisation des esprits est un défi majeur qui persiste des décennies après l’indépendance politique. Dans cette optique, les négociations en cours entre la France et l’Algérie prennent une dimension nouvelle. Elles ne concernent pas seulement le passé, mais ouvrent la voie à un avenir où l’Afrique pourra puiser dans ses propres ressources intellectuelles et culturelles pour relever les défis du 21e siècle.
La restitution de ces biens culturels pourrait être le point de départ d’une redécouverte et d’une réappropriation des traditions philosophiques africaines. Ces savoirs ancestraux, longtemps marginalisés, pourraient offrir des perspectives nouvelles pour aborder les défis contemporains du continent, de la lutte contre la pauvreté à l’adaptation au changement climatique.
La restitution des biens culturels ne doit donc pas être vue comme une fin en soi, mais comme le début d’un processus de réappropriation culturelle et intellectuelle. C’est en redécouvrant et en valorisant leur riche patrimoine que les nations africaines pourront construire un avenir prospère, enraciné dans leur identité propre et non plus calqué sur des modèles occidentaux inadaptés. R.I
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